La revue critique, un processus clé de l'ACV
- heleneteulon
- 16 juin
- 5 min de lecture

La Revue critique est un processus qui permet d’attester de la qualité d’une étude ACV, en particulier de la robustesse de ses résultats – point essentiel si l’on souhaite les publier.
Dans ce billet, nous verrons :
· Ce qu’est concrètement une revue critique d’ACV et d’où elle vient
· Dans quels contextes la revue critique est obligatoire
· Qui peut la réaliser
· Et enfin quelques cas concrets illustrant les implications pratiques du processus de revue critique.
D’où vient ce processus de revue critique ? Quelles normes l’encadrent ?
Ce processus apparaît dès la publication des premières normes sur l’ACV, entre 1997 et 2000[1]. Vous pourriez vous étonner, étant donnée la faible maturité des ACV à l’époque, de la publication précoce de ces normes. C’est qu’il y avait à l’époque urgence, du point de vue des praticiens de l’ACV, à sécuriser l’emploi de ce nouvel outil. Les premières études ACV se déployaient principalement dans le nord de l’Europe. En Allemagne par exemple, deux études émises par des industriels différents vantaient d’une part les bénéfices environnementaux des couches jetables par rapport aux couches lavables, et d’autre part le contraire, toutes deux s’appuyant sur la méthodologie de l’ ACV . Les praticiens ont vite compris que sans cadre méthodologique rigoureux permettant d’éviter la publication d’études biaisées, l’outil d’ACV perdrait rapidement toute crédibilité. Ils se sont donc attachés très tôt à élaborer des normes internationales, et ils ont bien travaillé, car elles ont peu évolué depuis – les nouvelles versions de 2006 sont très proches des versions initiales. Un point clé de ces normes concerne le processus de validation de la robustesse des résultats et conclusions des études ACV destinées à être publiées.
La norme ISO 14071, spécifiquement dédiée à la revue critique en ACV, a été publiée en 2024. Elle précise le processus de revue critique, en posant notamment les deux types « en fin d’étude » et « en parallèle », c’est-à-dire pendant la réalisation de l’étude. Elle détaille les missions des experts vérificateurs, ainsi que celles du président dans le cas d’un comité de revue. Elle fournit également un modèle de déclaration d'indépendance pour les experts.
En quoi consiste une revue critique ?
Concrètement, la revue critique consiste à
· soumettre un rapport provisoire d’étude ACV à un expert ACV ou à un panel d’experts (ACV et métier),
· qui vont analyser la méthodologie, les résultats, les conclusions, poser des questions, émettre des recommandations.
· L’auteur de l’étude répond aux questions, amende éventuellement son étude, adapte son rapport pour répondre au mieux aux attentes du ou des expert.s
· Lesquels experts rédigent in fine un rapport de revue critique, qui reprend l’historique des travaux de la revue, et émet un avis sur la qualité de l’étude, son respect des normes ISO, sa pertinence scientifique, la robustesse de ses conclusions. Selon la norme ISO 14044, ce rapport de revue critique doit être inclus dans le rapport finale de l’étude ACV.
Si vous souhaitez en savoir plus sur les rapports de revue critique, rien de plus facile puisqu’ils sont publiés ! Je vous invite à consulter les rapports d’études ACV publiés notamment par l’ADEME, qui sont généralement soumis à revue critique : https://librairie.ademe.fr
Est-ce obligatoire ? Dans quels cas ?
Ce processus est facultatif, sauf si l’étude est comparative et destinée à être publiée. L’on reconnaît bien ici le souci premier qui a motivé les auteurs de la norme. – le terme exact est « affirmation comparative destinée à être divulguée au public ». Dans un tel cas, la norme ISO 14044 requiert une revue critique par un « comité des parties intéressées ».
Dans la pratique, « divulguée au public » renvoie à une large diffusion, sur internet ou par édition de document papier, brochure publicitaire, etc. S’il s’agit de partager les résultats de l’étude avec ses clients B2B, alors la revue critique n’est pas strictement requise par la norme, elle reste cependant un facteur de crédibilité pour les parties prenantes.
Qui peut la réaliser ?
Il va de soi que la validité de revue critique dépend de l’indépendance et de la compétence des experts qui la réalisent.
Il faut à minima un expert en ACV pour réaliser une revue critique. La norme indique « interne ou externe », mais précise juste après que cet expert doit être indépendant. Dans la pratique, ce sont le plus souvent des experts externes qui réalisent les revues critiques.
Dans le cas d’une revue critique par un panel, un expert ACV est choisi par l’auteur de l’étude, il a pour mission de rassembler un comité qu’il préside. Dans les faits, l’auteur de l’étude est souvent associé au choix des membres du panel. La norme indique que le comité des parties intéressées peut inclure « des agences gouvernementales, des organisations non gouvernementales, des concurrents et des industries affectées » (par les conclusions de l’étude). Dans la pratique, je n’ai jamais vu de concurrents invités dans les panels de revue critique. En revanche, des experts métiers sont régulièrement sollicités, des chercheurs, enseignants, des membres d’instances gouvernementales ou d’ONG spécialistes de l’environnement sont aussi parfois invités à participer.
Quelques situations concrètes
Un industriel du secteur du bâtiment souhaite promouvoir sa solution en matériaux non ferreux pour substituer des équipements existants en acier. Il s’appuie pour cela sur une ACV comparative. Il connaît bien le dimensionnement de sa propre solution. En revanche il doit émettre des hypothèses sur la solution concurrente et ses conditions de mise en œuvre. La revue critique réalisée par un panel international d’experts estime que les valeurs de la solution acier sont surestimées, et demande un ré-ajustement de ces valeurs. Suite à cette demande, l’industriel préfère ne pas publier son ACV comparative. Dans ce cas, la revue critique a bien joué son rôle de préservation de l’équité dans la présentation des résultats d’ACV.
Une entreprise installant des terrains de foot en gazon synthétique fait réaliser une ACV pour promouvoir sa solution auprès des maires. L’industriel vante la robustesse de sa solution, qui permet de jouer 40h par semaine là où un gazon naturel limite le jeu à 8h par semaine. Lorsque nous réalisons la revue critique, nous constatons un biais important dans la définition de l’unité fonctionnelle[2] : le terrain de football en gazon synthétique est comparé à 5 terrains de football en gazon naturel, ce qui ne correspond pas à la réalité. Nous recommandons alors de comparer un terrain en gazon synthétique à deux terrains : un terrain en gazon naturel utilisé pour les matchs en tant que « terrain d’honneur », et un terrain en terre battue pour les entraînements. La revue critique a ici conduit à modifier les hypothèses de base du calcul de l’ACV pour se rapprocher d'un cas d’usage plus réaliste.
En conclusion
Ces deux exemples montrent comment le processus de revue critique s’avère précieux pour garantir la qualité des résultats publiés, et au-delà, la crédibilité de l’outil d’analyse de cycle de vie.
[1] ISO 14040 en 1997, ISO 14041 en 1998, 42 et 43 en 2000– ces trois dernières normes ont été refondues en ISO 14044 en 2006