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Agribalyse 3.0 : de nouvelles données pour la performance environnementale des produits alimentaires

L’ADEME a publié mardi dernier la version 3.0 de la base de données ACV Agribalyse sur les produits agricoles et alimentaires. L’occasion d’animer une journée d’échanges et de débat autour des questions soulevées par la mesure des impacts environnementaux de l’alimentation, à l’heure où les consommateurs exigent de plus en plus de transparence sur les produits qui leurs sont proposés, et où le gouvernement promeut l’affichage environnemental pour une consommation plus responsable.

Dans cette nouvelle version, Agribalyse a justement vocation à éclairer les choix des consommateurs : ces données couvrent désormais non seulement les produits agricoles, mais aussi tous les processus du champ jusqu’à l’assiette.

L’ADEME met à disposition en replay toutes les discussions de cette journée, ainsi qu’une introduction et des liens sur l’article publié par Vincent Colomb, responsable de ce programme à l’ADEME.

Gingko 21 a accompagné l’ADEME avec deux autres cabinets et assuré la construction de la base de données Agribalyse 3.0. Nous continuons à proposer notre expertise, avec notamment une formation dédiée à l’ACV dans le secteur agro-alimentaire et la prise en main de la base de données Agribalyse.

Nous partageons ici quelques éclairages sur les nombreux sujets abordés au cours de la journée.

L’ACV, quel intérêt pour les agriculteurs ?

Pour améliorer la performance environnementale au niveau de la ferme, a-t-on vraiment besoin de faire une ACV ? Certainement pas pour chaque ferme, cela n’aurait aucun sens.

En revanche, la perspective « cycle de vie » présente l’avantage d’intégrer l’impact environnemental des intrants et des traitements en aval avec celui de l’activité agricole proprement dite. Posé sur une situation moyenne, un bilan multicritère sur le cycle de vie permet d’objectiver l’intérêt (ou le non intérêt) de pratiques alternatives, par exemple pour le choix d’alimentation pour l’élevage, d’engrais pour l’agriculture, de comparer une transformation locale avec une transformation centralisée, ou différentes voies pour la valorisation des sous-produits…

Un modèle d’ACV paramétré peut orienter les choix des agriculteurs, et leur permettre de suivre leur performance environnementale, voire de la communiquer à leurs parties prenantes. C’est ce type d’outil qu’a présenté Sandrine Espagnol, de l’IFIP, l’Institut Français du Porc, avec GEEP : les éleveurs peuvent saisir un nombre réduit de paramètres pour éditer leur performance environnementale spécifique, qu’ils peuvent suivre dans le temps, ou utiliser pour se comparer entre eux.

Pour construire des outils similaires dans d’autres filières, la base de données Agribalyse fournit une aide précieuse, puisqu’elle rassemble une multitude de données unitaires qui peuvent se combiner pour produire un modèle détaillé de production.

Agribalyse 3.0, pour quoi faire ?

Comme toute base de données en ACV, Agribalyse présente des données entachées d’incertitude, dans une mesure plus ou moins grande selon les produits. L’incertitude est évaluée via les Data Quality Ratios, ou DQR, calculés selon une méthodologie propre à la base, mais fondée sur les recommandations de la Commission Européenne, et validée par une revue critique internationale.

Il convient donc de prendre en compte cette incertitude lorsque l’on envisage une utilisation des données. Louis-Georges Soler, de l’INRAE, précise ainsi que les valeurs moyennes fournies par Agribalyse 3.0 sont probablement pertinentes et suffisantes pour estimer le poids environnemental du plateau repas, du caddy, ou d’un régime sur l’année, pour informer les consommateurs sur l’impact de différents plats : par exemple, hamburger versus quiche &salade.... C’est notamment ce que propose Elior dans ses restaurants d’entreprise, uniquement pour le bilan Carbone pour l’instant précise Aurélie Stewart. Attention toutefois à la saisonnalité : les impacts des tomates crues varient grandement avec la saison. Soulignons que dans une telle application, les résultats devraient être présentés avec peu de chiffres significatifs, idéalement une lettre.

En revanche, toujours selon Louis-Georges Soler, les données d’Agribalyse 3.0 ne sont pas suffisamment fines pour permettre des comparaisons au sein d’une même catégorie de produits sur le marché. La variabilité des performances environnementales des produits est forte, elle dépend de multiples facteurs : l’origine géographique, les modes de production – biologique ou pas, pratiques d’élevage… Comme l’a indiqué Vincent Colomb en début de matinée, la base est aujourd’hui à la disposition des professionnels pour qu’ils s’approprient les données, les complètent pour adapter les modèles à leur situation spécifique et puissent s’en servir pour sélectionner les intrants, optimiser les recettes, les emballages, et in fine améliorer la performance environnementale de leurs produits. Le projet Agribalyse a plus de 10 ans d’existence, et encore un long chemin devant lui…

Nutrition et sante : une finalité pour l’agriculture, une perspective pour Agribalyse

Respecter l’environnement, est-ce garantir la santé du consommateur ? Loin d’une évidence, cette logique se vérifie globalement dans les données à grande échelle, comme l’atteste Louis-Georges Soler, mais réserve aussi des surprises. Ce qui étonne surtout, c’est de ne pas voir le « bio » se démarquer nettement des modes de culture intensive. Cela est notamment lié à des limites méthodologiques, que de nouvelles études sur l’utilisation d’engrais et la prise en compte de la biodiversité cherchent à lever.

De plus, devant la complexité des systèmes multifactoriels, les chercheurs et nombre de participants s’interrogent sur la pertinence de l’unité fonctionnelle. Le fait de rapporter l’impact environnemental au kg par exemple, avantage mécaniquement les modes de culture intensive - de productivité supérieure.

Pour répondre à cette limite, l’INRAE a expérimenté de ramener les résultats à l’unité de surface cultivée, ou au prix. Dans l’auditoire ont émergé des propositions d’unité fonctionnelle en lien avec la valeur des aliments, telle qu’elle est perçue par les consommateurs. Nous analysons ici quelques variantes : valeur économique (prix), perçue lors de la consommation (gout, satiété, plaisir), ou valeur biologique consécutive à la consommation (vitalité, efficacité fonctionnelle musculaire, nerveuse etc.).

Tout d’abord, rapporter l’UF au prix aurait l’avantage de la simplicité, mais introduirait un biais, car la valeur perçue ou d’échange reflète aussi des facteurs de nature commerciale (marque, fidélisation etc.) qui n’ont pas de place dans l’appréciation de la fonction alimentaire générée en amont de la chaine de valeur.

Des indicateurs de santé et de bien-être, quant à eux, nous semblent cohérents avec la finalité même de l’alimentation. C’est par ailleurs, soulignent plusieurs orateurs, un levier majeur pour mobiliser sur les enjeux environnementaux les consommateurs prioritairement sensibles à leur santé. Ces indicateurs restent encore à développer.

Et le bio, dans tout ça ?

Un programme spécial de construction de données ACV a été dédié à l’agriculture biologique dans le cadre d’Agribalyse sur plus de deux ans. Hayo Van der Werf en a présenté à la fois les défis et les résultats, contrastés.

Un point important concerne l’approche nécessairement globale des systèmes, avec la prise en compte des « successions culturales », du fait de la rotation des cultures ; Hayo appelle à un approfondissement de la méthodologies d’ACV sur la double question des pesticides et de la biodiversité, en même temps qu’une prise en compte immédiate de ces facteurs, sans attendre les résultats futurs de la recherche.

Sabine Bonnot, de l’Institut Technique de l’Agriculture Biologique (ITAB), et également agricultrice, souligne les limites des données actuellement mises à disposition dans Agribalyse 3.0 : tant que les données se rapportent au kilogramme de production, alors les systèmes agricoles extensifs et biologiques, de moindre rendement, sont défavorisés dans la comparaison avec les systèmes conventionnels, intensifs et productivistes.

Marc Benoît, de l’INRAE, explique en effet que ces systèmes extensifs et biologiques fournissent une multitude de services éco-systémiques, dont la prise en compte demanderait une redéfinition de l’unité fonctionnelle, à laquelle sont rapportés les résultats de l’ACV, vers une évaluation globale du territoire.

Par ailleurs, Sabine Bonnot appelle à un approfondissement des travaux d’Agribalyse en interaction avec l’ITAB et les représentants des agriculteurs en systèmes extensifs et biologiques pour prendre en compte les impacts sur la biodiversité, faune et flore, et sur la santé des consommateurs.

Armelle Gac, de l’IDELE (Institut de l’Elevage) rebondit en insistant sur l’importance d’indicateurs complémentaires par rapport à l’ACV, et invite à une prise de recul à l’échelle du régime alimentaire, ou du territoire. Là encore, des travaux à développer…

Les consommateurs attendent des preuves

Benoît Soury, directeur Marché Bio du groupe Carrefour, premier distributeur de « bio » en France, appelle à un consensus méthodologique, pratique et praticable, pour communiquer en transparence avec le consommateur – hautement averti et alerte par rapport au « greenwashing ». Agribalyse a beaucoup à offrir dans ce sens, avec sa large base de gouvernance, très inclusive. Cela demande cependant de sortir des débats d’experts et d’aller vers plus de simplicité et de lisibilité dans l’affichage. Par ailleurs, le périmètre d’Agribalyse est la France, un autre atout pour répondre à la demande des consommateurs qui recherchent du « local ».

Cependant, les limites méthodologiques actuelles de la comparaison des modes de production conventionnels et biologiques expliquent pourquoi la branche Bio de Carrefour ne pratique pas encore l’ACV. Nous savons néanmoins que l’approche a déjà été expérimentée au sein de Carrefour, puisque les premiers travaux de Gingko 21 pour le groupe remontent à plus de dix ans.

Reste à savoir comment seront vérifiées à terme les allégations environnementales fondées sur l’ACV et Agribalyse dans le domaine alimentaire : un système de vérificateurs accrédités serait-il à mettre en place comme dans le secteur du bâtiment ?

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