Nous avons présenté la Loi anti-gaspillage et économie circulaire dans notre post du 24 février 2020. Nous proposons ici quelques éclairage par des experts.
L’Institut National de l’Economie Circulaire a activement contribué aux évolutions du texte lors de ses différents aller-retours entre les assemblées en étant force de propositions. Il a poursuivi son implication en publiant une analyse et un décryptage de la loi. Cette analyse a fait l’objet d’une conférence le 27 janvier 2020 en présence de personnalités et de différents experts pour partager leurs points de vue et éclairage sur le texte.
L’événement a démarré avec l’intervention d’Emmanuelle Leroux, directrice de l’institut, suivie par Marline Weber et Pauline Thiberge, du pôle « Affaires juridiques » de l’Institut qui ont présenté le texte de loi et partagé une analyse des dispositions majeures. L’analyse synthétise la loi en quelques paquets de mesures majeures : information du consommateur, réparation, lutte contre le gaspillage, fin du plastique jetable, développement de la vente en vrac, commande publique et achats responsables, filières REP, incorporation de plastique recyclé, etc.
Est ensuite intervenue Corinne Lepage, avocate et ancienne Ministre de l’Environnement, pour partager son avis sur le texte adopté, ainsi que les grands enjeux de la loi.
Des experts ont pris la suite afin de répondre chacun à une question ciblant une partie plus spécifique de la loi.
Voici un aperçu global des retours de ces experts.
Avant toute chose, l’avocate Corinne Lepage a souligné la résonance tentaculaire de la loi dans la législation française. Il est remarquable que la loi impacte plus de 16 codes différents [1] dont le code de l’environnement qui est devenu central et moteur dans le processus de transition.
Malgré cette ambition, l’avocate reste sur sa faim. Selon elle, cette loi ne répond pas suffisamment à l’urgence du siècle. Elle regrette que cette loi soit davantage une loi de transition que de transformation. Or, la politique nationale ne doit plus se réduire à un objectif de transition mais mettre ses moyens sur l’accompagnement d’une véritable transformation, notamment en ce qui concerne la comptabilité en entreprise. Selon l’avocate, il est regrettable que la loi passe à côté d’un enjeu aussi essentiel qu’est la comptabilité verte. Elle rappelle que depuis 20 ans déjà des chercheurs se penchent sur la question et s’efforcent de convaincre de l’intérêt considérable de ce levier. Pour un réel changement de notre modèle économique, il est essentiel que les entreprises évaluent leurs actions de manière différente en intégrant le capital humain et le capital environnemental à leur comptabilité générale. Toute l’évaluation est à repenser pour susciter un véritable intérêt des entreprises. Aujourd’hui, la loi demande aux acteurs économiques de faire autrement dans un contexte où les règles restent fondées sur l’économie linéaire et valorisent l’économie de masse au détriment d’une société de la sobriété (si longtemps revendiquée par l’ingénieur spécialiste de l’épuisement des ressources minérales Philippe Bihouix [2]). En ce sens, des expérimentations sont en cours (opération collective CARE en région PACA) qui auraient pu bénéficier d’un plus grand soutien législatif.
Alors que certains regrettent l’absence de révolution dans les modèles d’évaluation de la valeur par les acteurs économiques, pour l’avocat spécialisé en droit de la consommation et environnement Emile Meunier, une grande avancée de la loi est l’accent porté sur l’information du consommateur afin de mieux le guider dans ses choix. La mesure phare est la création d’un indice de réparabilité pour les équipements électriques et électroniques qui devra être affiché dès 2021. L’indice évoluera en un indice de durabilité incluant de nouveaux critères tels que la fiabilité et la robustesse. Il appelle au démarrage de travaux en la matière.
Il est toujours intéressant de prendre du recul sur nos politiques nationales. En ce sens, l’intervention de Camille Hubac, conseillère économique à la Commission européenne, est éclairante. Se refusant de donner un avis sur la loi française, elle souligne toutefois la relative détermination de la France sur le sujet. Selon la conseillère économique, cette loi est une des plus contraignante au niveau européen en matière de transition vers une économie plus circulaire.
Toujours est-il que, bien que l’ensemble des intervenants au séminaire organisé par l’INEC ait souligné les avancées de la loi, certains ont émis quelques regrets et appellent à la prudence quant à la mise en œuvre de ces mesures qui renvoient très souvent à la publication de décrets.
En cela, Corinne Lepage a mis l’accent sur trois points de vigilance à ne pas manquer au moment de la rédaction des décrets d’application :
- L’effort de cohérence entre les textes. En effet, elle souligne la tendance historique française au silotage entre les différents codes législatifs ;
- La maîtrise des coûts associés à la mise en œuvre des mesures ;
- La distorsion de concurrence au niveau national mais également au niveaux européen et international - qui appelle à une présentation rapide à la Commission européenne de certaines mesures franco-françaises telles que la modulation des contributions financières des producteurs selon leur effort d’éco-conception.
[1] Code de l’environnement ; code de la santé publique ; code de la consommation ; code de l’éducation ; code de l’action sociale et des familles ; code général des impôts ; code général de la propriété des personnes publiques ; code rural et de la pêche maritime ; code de la commande publique ; code général des collectivités territoriales ; code de la construction et de l’habitation ; code des douanes ; code de la route ; code des assurances ; code de la sécurité intérieure ; code des relations entre le public et l’administration. [2] Bihouix, P. (2014). L'Âge des low tech. Vers une civilisation techniquement soutenable: Vers une civilisation techniquement soutenable. Le Seuil.
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