L’expression « Développement Durable » (DD) se diffuse dans les années 90, suite à la publication du rapport Brundtland, en 1987. A partir des années 2000 avec le sommet de Johannesburg en 2001, l’appropriation du concept par les entreprises donne lieu au vocable de « Responsabilité Sociétale des Entreprises » (RSE, ou CSR pour Corporate Social Responsibility). Au fur et à mesure que des acteurs plus nombreux se sentent concernés par le sujet, de nouvelles dénominations apparaissent, chacune porteuse d’une nuance particulière : l’économie circulaire insiste sur le recyclage des matières et la réutilisation des produits en boucles successives, l’économie positive sur le respect de l’humain placé au centre des activités, l’on trouve aussi l’économie bleue, l’économie collaborative, l’écologie industrielle et territoriale, voire des néologismes, tels « l’écolonomie », la « permaéconomie », voire l’économie « permacirculaire »…
Cette multiplication des vocables ne traduit malheureusement pas une multiplication des engagements, elle conduit en revanche à un flottement sémantique, qui risquerait bien de démotiver les néophytes. Sans compter que chacun s’active à défendre son pré carré, et à démontrer qu’il englobe tous les autres ! Ainsi lors des journées francophones de l’Ecologie Industrielle et Territoriale à Troyes en novembre 2016, Suren Erckman expliquait-il que l’EIT intégrait l’économie circulaire. Au contraire, l’ADEME, dans son schéma de l’économie circulaire en 7 piliers, présente l’EIT comme l’un des piliers de l’économie circulaire. Mais dans son rapport de juin 2017 sur l’économie de la fonctionnalité, l’ADEME toujours tend à présenter celle-ci comme l’économie vers laquelle tendre, et qui engloberait l’économie circulaire.
Lors du colloque avniR à Lille en novembre dernier, Michele Galatola, de la Commission Européenne, tenta avec humour une explication « marketing » : devant le peu de succès des politiques relatives à la performance environnementale des produits, il a bien fallu rebaptiser le programme régulièrement, comme pour lui donner des habits neufs : on est ainsi passé de la « politique intégrée des produits » à la « production et consommation durables », puis à « l’efficacité des ressources », et enfin à « l’économie circulaire ».
Est-ce seulement un problème de mots ? Faut-il s’en inquiéter ou bien plutôt se réjouir que chacun s’approprie le concept ? Si « ce qui se conçoit bien s’énonce clairement », alors ce foisonnement des termes traduit sans doute un manque de contenu : l’abondance de mots dirait l’absence de durabilité. Et le flou sémantique pourrait être à la fois cause d’incompréhension et source de difficultés à se coordonner pour l’action.
Pour différentes qu’elles soient, ces dénominations s’articulent cependant entre elles : l’économie de la fonctionnalité suppose une longue durée de vie des équipements, et appelle donc des biens éco-conçus. Elle nécessite pour se mettre en place de fortes interactions entre clients, fournisseurs et autres acteurs du territoire : elle est donc collaborative par essence. De même que l’Ecologie Industrielle et Territoriale , qui vise à mettre en place des synergies et mutualisations entre acteurs d’un même territoire. Celle-ci est également circulaire, recherchant des pistes de réutilisation et/ou de recyclage des flux de matière et d’énergie… Et tout cela reste positif, en visant la création de valeur sociale ou sociétale.
Tous ces concepts visent un ordre économique préservant la planète, considérée comme le bien partagé de l’humanité, tout en mettant le respect de l’homme au centre de l’attention.
Pourquoi ne pas englober toutes les nuances de ces différents concepts sous le vocable « d’économie du bien commun », en reprenant l’expression de Jean Tirole dans un ouvrage récent (1) ? L’économie du bien commun est celle qui cherche le bien-être de tous, elle résonne avec les notions de « communs », elle a le mérite de centrer l’attention sur l’homme, d’intégrer la notion de collaboration, et d’être porteuse de sens (2).
1 - Economie du Bien Commun, Jean Tirole, 2016.
2 - Elle a aussi l’avantage d’une fondation philosophique solide, remontant à Platon.